Comment “Le Monde” traque et réduit l’empreinte carbone de ses vidéos

Charles-Henry Groult
5 min readOct 27, 2020

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L’équipe vidéo du « Monde » a créé une solution de suivi de son empreinte carbone et modifié certaines méthodes de travail pour réduire son impact environnemental. English version

Dès les premières étapes de la conception de Plan B, notre série hebdomadaire sur l’environnement, une question a émergé au sein de l’équipe vidéo du Monde : comment aborder, filmer et expliquer les grands enjeux environnementaux, sans porter nous-mêmes une exigence éco-responsable ? Quelle crédibilité aurions-nous à parler de la crise climatique en prenant l’avion une fois par semaine pour le faire ? En somme, comment prétendre engager avec nos lecteurs une discussion de qualité, et de confiance, sur le climat sans nous montrer à la hauteur de notre propre responsabilité ?

Cette question s’est transformée en défi.

Elle a conduit l’équipe vidéo du Monde à modifier certaines méthodes de travail, comme limiter ses déplacements en avion, et à concevoir une solution de suivi de son empreinte carbone.

Un premier outil, simple, rudimentaire, rapidement pris en main par la quinzaine de journalistes de l’équipe. Un outil appelé à être complété, critiqué et enrichi par l’expérience des confrères et lecteurs qui s’en empareront. Une initiative inédite en France, et qui ne semble pas avoir d’équivalent à l’étranger.

Un outil pour évaluer notre empreinte carbone

Ce document qui, faut-il insister, est perfectible, réunit en un même lieu l’ensemble des émissions carbones (en équivalents carbone) de nos déplacements professionnels. D’un aller-retour Paris-Cayenne jusqu’aux trajets de quelques stations de métro : la totalité des moyens de transport utilisés par nos journalistes vidéo en reportage est ici.

Avion, TER, taxi… Chaque moyen de transport est indiqué dans une colonne spécifique, ainsi que l’empreinte carbone de chaque kilomètre effectué avec lui. Des chiffres obtenus auprès de l’Ademe, sur les sites officiels des transporteurs (pour le Thalys, côté allemand, par exemple) ou sur des sites spécialisés, dans le cas du bateau d’une ONG.

Nous avons affiné ce bilan en y ajoutant l’empreinte carbone générée lors du tournage, sur le terrain, et lors du montage des vidéos, dans notre rédaction à Paris. Pour le tournage, en plus des transports donc, nous avons calculé la consommation électrique d’un appareil photo Sony A7 III, l’appareil le plus gourmand de notre parc (16,4 Wh), par tranches de 8 heures de travail. Côté montage, nous avons inscrit la consommation d’un iMac Retina 27 pouces de 2019, à pleine puissance (262 Wh), par tranches de 8 heures de travail également.

Cet outil pourrait être grandement amélioré. En y ajoutant la consommation électrique de multiples appareils moins gourmands, par exemple : souris sans-fil, smartphone, disque dur externe, etc. L’on pourrait également y préciser la consommation liée à l’utilisation de serveurs informatiques, par le journaliste, mais surtout par les milliers (millions) d’internautes qui regardent nos vidéos. Une empreinte carbone encore difficile à évaluer, tant elle dépend du réseau, de l’appareil utilisé et du lieu de visionnage.

Il suffit désormais à nos journalistes de retour du terrain d’inscrire dans le document les distances qu’ils ont parcourues, le type de transport utilisé et le nombre de jours de tournage et de montage qu’ils ont effectués. Le document calcule ensuite automatiquement le bilan carbone du reportage, en kilogrammes d’équivalent carbone.

Quel résultat ? D’abord, une confirmation : le moindre vol plombe définitivement tout effort réalisé par ailleurs. À eux seuls, les deux trajets par avion constituent 95,4% de l’empreinte carbone totale de la série PlanB, alors qu’ils ne représentent que 19% des vidéos réalisées.

La voiture alourdit aussi le bilan : un reportage près de Rouen, qui nécessitait une voiture, s‘est révélé être trois fois plus émetteur de carbone qu’un reportage à Toulouse, gagnée en TGV.

De nouvelles règles de sobriété environnementale

En accompagnant une prise de conscience de notre empreinte carbone, ce calculateur nous a surtout invité à fixer plusieurs règles de sobriété :

  • nous ne prenons jamais l’avion pour des reportages en métropole, ou en pays frontalier (Monaco, sud de l’Allemagne, région toulousaine, etc.)
  • nous privilégions systématiquement des nuits d’hôtel sur place à un aller-retour dans la journée qui nécessiterait de prendre l’avion
  • en Île-de-France, nous ne nous déplaçons qu’en transports en commun
  • quand un reportage nécessite de prendre l’avion, nous étendons le nombre de jours sur place pour y réaliser au moins deux reportages (trois sujets réalisés en Guyane, deux à Madagascar)

Enfin, pour faire œuvre de transparence et encourager la discussion avec nos lecteurs, le bilan carbone de chaque reportage est désormais indiqué dans le générique de fin des vidéos…

Générique de fin de l’une de nos vidéos

Et discuté dans les commentaires :

Commentaires sous nos épisodes vidéos

Ce calculateur est une première étape. N’hésitez pas à nous en proposer l’amélioration. Nous lirons vos remarques et suggestions avec intérêt.
Surtout, prenez-le en main vous-mêmes, essayez-le.
En voici une version librement réutilisable.

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Written by Charles-Henry Groult

Head of video @lemondefr, journalist • Co-funded a longform mag @LeQuatreH & a local film library @CinemathequeN • occasional mead maker

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